Beaucoup de vignobles en France revendiquent une origine romaine. Cahors et ses voisins n’y manquent pas. Déterminer avec certitude l’existence d’exploitation viticole nécessite de disposer de preuves par les textes et/ou l’archéologie. Cette dernière est particulièrement précieuse. A partir d’objets, d’aménagements, de pépins de raisin, voire de simples pollens ; il est possible d’attester pour une époque assez précise l’existence d’activités viticoles.
À Gaillac les preuves d’une présence de la culture de la vigne et de la vinification abondent ; avant même la conquête des Gaules par César en 58-51 av. JC. À Bergerac, qui n’était pas une cité romaine ; aucune trace matérielle (ni pépin, ni plantation, ni cuve, ni atelier de production d’amphores, ni inscription) n’est en revanche relevée. Qu’en est-il à Cahors ?
En Gaule : la vigne connaît une extension considérable
La Gaule romanisée est une productrice de vin importante. L’activité se développe avec vigueur tout particulièrement dans les régions proches de la Méditerranée, à commencer par la Narbonnaise, puis le long du Rhône1.
Strabon décrit l’Aquitania dans l’un des volumes de sa Geographica, écrite en 20 av JC. S’il mentionne Bordeaux pour son activité portuaire, il ne relève aucune activité viticole. En revanche, Pline le Jeune, moins de 60 ans plus tard, y relève, dans son Histoire naturelle, une forte présence du plant biturica2. Le vignoble aquitain se développe donc essentiellement à partir de la seconde moitié du Ier siècle pour atteindre son apogée au IIe siècle3. Il décline par la suite mais subsiste pendant le haut Moyen Âge4.
Le vin produit en Gaule est rapidement commercialisé en Italie, concurrençant même les productions locales. Le développement est tel que l’empereur Domitien en 92, interdit de nouvelles plantations et exige l’arrachage de la moitié du vignoble gaulois. On a pu penser que cette mesure correspondait à une volonté de protéger les producteurs italiens de la concurrence gauloise. En fait Rome souhaitait surtout préserver les terres à blé, cette production étant essentielle pour l’équilibre de l’Empire5. Une nouvelle autorisation sera par la suite accordée par l’empereur Probus (276-282).
Aux origines de Cahors : Divona, cité des Cadurques
Cité romaine, Divona est fondée sous Auguste ou Tibère (soit entre 27 av. JC et 37 après JC). Des monuments importants dont un amphithéâtre, un théâtre, et un aqueduc de 33 km la distinguent : 12 cités seulement en Gaule étaient aussi richement dotées. Il n’en reste guère que quelques vestiges peu visibles.
Des personnages remarquables ont marqué leur époque. Lucterius, lieutenant cadurque de Vercingétorix, s’est notamment illustré à la bataille d’Uxellodunum, qui se déroule à la fin de la Guerre des Gaules à proximité du site actuel de Cahors. La région s’inséra rapidement dans le processus de romanisation. Le parcours de Lucterius Leo l’atteste, qui était peut-être le petit-fils de Lucterius, et qui s’inscrit en tout cas dans sa lignée, tout comme celui de Tibérius Pompéius Priscus, qui après une carrière municipale à Divona devint tribun militaire de la légion Macedonica et finalement contrôleur du trésor fédéral des Gaules.
Des racines cadurciennes … sans production viticole attestée
L’importance de la Cité et son insertion dans l’Empire nous laissent penser qu’on produisait vraisemblablement du vin à Divona. Cependant aucune trace textuelle ou matérielle ne permet de l’attester. Un sarcophage dit « des vendanges », conservé à Cahors puis détruit à la Révolution a pendant un temps conforté l’idée d’une exploitation précoce de la vigne à Cahors. Il présentait en effet de magnifiques scènes de récolte et de foulage de raisins. On en a retrouvé récemment un fragment. Il n’apporte cependant pas la preuve irréfutable d’une culture de la vigne à Divona. Sépulture païenne sans doute réutilisée et christianisée par un nouveau « propriétaire » à la fin de l’Antiquité, le sarcophage peut avoir été fabriqué ailleurs, comme cela était souvent le cas. Il traduit essentiellement l’importance symbolique de la vigne et du vin au sein de la société romaine ; sans permettre de conclure à la présence de telles activités à Divona.
S’il est donc probable mais pas certain que l’on ait produit à Divona du vin concurrençant, avec les autres nouveaux vignobles de la Gaule conquise, les productions de l’Italie ; il faut souhaiter que l’archéologie puisse à l’avenir éclairer d’un jour nouveau cette question des origines de la viticulture cadurcienne.
1 Dion Roger. Métropoles et vignobles en Gaule romaine. In: Annales. Economies, sociétés, civilisations. 7e année, N. 1, 1952. pp. 1-12; doi : https://doi.org/10.3406/ahess.1952.2020 https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1952_num_7_1_2020
2 Duval Paul Marie. Les peuples de l’Aquitaine d’après la liste de Pline. In: , . Travaux sur la Gaule (1946-1986) Rome : École Française de Rome, 1989. pp. 721-737. (Publications de l’École française de Rome, 116); https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1989_ant_116_1_3706
3 Matthieu Poux, Jean-Pierre Brun, Marie-Laure Hervé-Monteil. La vigne et le vin dans les Trois Gaules. Gallia – Archéologie de la France antique, 68 (1), CNRS Éditions, pp.1-285, 2011, 978-2-271-07266-5. ⟨hal-01928826⟩
4 Catherine Balmelle, Dany Barraud, Béatrice Duprat, Hervé Gaillard, Philippe Jacques, et al.. La viticulture antique en Aquitaine. Gallia – Archéologie de la France antique, CNRS Éditions, 2001, Dossier : La viticulture en Gaule, 58, pp.129-164. 10.3406/galia.2001.3177 . hal-01910146
5 Jean-Robert Pitte, Le Désir du vin, A la conquête du monde, Paris, Fayard, 2009.