La relève des vignerons
Dans son numéro de novembre, la Revue du Vin de France explore “ces jeunes vignerons qui boostent le Sud-Ouest”. Ayant pris la suite de leurs parents ou venus s’installer pour changer de vie, ces néo-vignerons assurent la relève dans le Sud-Ouest.
Par Karine Valentin.
Ces jeunes vignerons qui boostent le Sud-Ouest
De Marcillac à Irouléguy, de Bergerac à Cahors, qu’ils soient néovignerons ou qu’ils reprennent le domaine familial, ils impulsent à ce vaste territoire une enthousiasmante vitalité.
«Être vigneron est un vrai don de soi, j’en suis conscient et c’est pour ça que je me lève tous les matins. » Florent Plageoles est l’un des leaders de la nouvelle génération de vignerons du Sud-Ouest qui s’investit brillamment pour le futur. Sur ce vaste territoire qui part de Marcillac pour finir aux pieds des Pyrénées, une pépinière de vignerons de moins de 40 ans, qui a grandi avec le réchauffement climatique, interprète le raisin en fonction des nouvelles lois de la météo, adapte les cultures, vendange tôt, plante des cépages oubliés, infuse les vins, diminue le bois, limite les intrants et l’alcool et passe en bio. Le tout sans perdre de vue la nature de leurs terroirs.
« Les vins qui me plaisent sont ceux qui se boivent aujourd’hui et qui seront bons dans cinquante ans. » À Madiran, Antoine Veiry est bien conscient que le tannat doit vieillir, mais il ajoute : « Il faut faire le vin qui nous plaît, ce n’est pas parce qu’on fait ça depuis vingt ans que c’est forcément bon ». Le directeur technique du château Montus est le beau-fils d’Alain Brumont, propriétaire du domaine. Comme lui, les nouveaux producteurs sont “fils et filles de”, autodidactes ou diplômés, ou bien néovignerons. Il y a cinquante ans, à peine 3 % des installations en agriculture se faisaient hors cadre familial, elles sont 30 % aujourd’hui et la viticulture n’y échappe pas…
Entre 9 000 et 15 000 euros l’hectare
Deux citadins, David Notteghem et Matthieu Simon, se sont associés pour reprendre le domaine de Combet à Bergerac. Très motivés, ils n’envisagent cependant pas la vigne comme un sacerdoce : « Cela doit rester un plaisir et nous voulons conserver des loisirs, c’est pour cela que nous nous sommes associés ». Malgré le stress des pertes de récolte, ils ne regrettent rien, préférant chausser des bottes qu’enfiler un costume. Les néovignerons sont attirés par le prix du foncier, variable suivant les AOC de 9 000 à 15 000 euros l’hectare. Un prix qui favorise aussi la transmission familiale. Dans le pur esprit du Sud-Ouest, les enfants succèdent à leurs parents : solidarité et convivialité, on peut compter les uns sur les autres, la famille en priorité.
L’exemple de Java Sud Ouest, une association de vignerons animés par le désir d’échanger et d’enrichir leurs pratiques créée il y a une quinzaine d’années, est édifiant. Ses huit membres ont tous, sans exception, transmis aux enfants. Lors du dernier salon Wine Paris, les stands étaient trop petits pour accueillir jeunes et vieux dans une joyeuse complicité : « Les anciens nous écoutent, une vraie discussion s’installe entre nous », précise Anne Ribes, du domaine Le Roc à Fronton. Les familles disposent aussi de plusieurs outils, comme le pacte Dutreil qui réduit les droits de succession dès lors qu’un membre de la famille souhaite reprendre le domaine. Ces transmissions en faveur de jeunes agriculteurs sont aussi favorisées par les Safer ou par la loi Sempastous entrée en vigueur le 1er avril 2023 qui régule l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires. Enfin, les jeunes qui veulent s’installer ont droit sous condition à la Dotation aux jeunes agriculteurs, qui s’élève en moyenne à 31 000 euros.
Aux anciens de s’adapter…
Une partie de ces vignerons en herbe s’est installée ces dernières années. Gel, grêle, mildiou, sécheresse auraient pu réduire leurs ambitions ; ils sont inquiets, mais pas défaitistes. Sébastien Fezas, vigneron au domaine Jean Daugé dans le Gers, se confie : « L’avenir me préoccupe mais me motive aussi, je sais qu’il y a des solutions, dans le travail des sols, la plantation de nouveaux raisins, l’arrachage de rangs pour y planter des arbres, la polyculture… ». Les cartes sont rebattues et les jeunes qui arrivent n’ont pas d’idées préconçues. Si l’AOC est un carcan, ils s’en libèrent. Leur vision du vin moderne est libre, à destination d’une jeune génération qui pourrait bien délaisser la bière et le whisky pour ces vins “glouglou”. Aux anciens de s’adapter…
Durant nos nombreuses dégustations effectuées dans les différents vignobles du Sud-Ouest durant ces trois dernières années, nous avons réellement pu constater l’attrait de la jeune génération et sa détermination à faire bouger les lignes. Nous vous présentons ces domaines ici appellation par appellation, d’est en ouest. Pour étoffer notre sélection, nous avons dégusté en juillet les derniers millésimes des jeunes vignerons à l’aveugle et sur appel à échantillons des organismes professionnels, avec pour seul critère de sélection la limite d’âge de la Dotation aux jeunes vignerons, soit 40 ans. Belles découvertes !
CAHORS : la relève des vignerons est en marche
L’appellation a vu déferler sur ses malbecs une nouvelle génération passionnée du cépage. Sans renier les grands cahors d’antan qui vieillissent sans ambages, les néovignerons cadurciens manient le raisin de sorte qu’il offre une sensation de floralité exacerbée et qu’il puisse se goûter jeune comme vieux.
Château du Cèdre
Jules, le fils de Pascal Verhaeghe, est arrivé depuis une poignée d’années et va encore plus loin que son père et son oncle sur ce domaine aux expressions stylistiques déjà pointues rendues encore plus sensibles avec l’arrivée du jeune vigneron. La gamme est désormais sans soufre, tout en restant d’une précision irréprochable.
94/100
2020
La cuvée est produite en vinification intégrale dans des barriques de chêne et élevée deux ans et demi sur lies. La minéralité du nez s’intensifie au fil du temps avec distinction et complexité. Prix : 15 €
93/100
Le Cèdre 2020
Le cuir domine un nez encore un peu fermé, mais le soyeux des tanins et la délicatesse du vin s’installent sur un équilibre franc et tonique. Grande précision, équilibre et finesse. Prix : 36 €
CHÂTEAU GRAND CHÊNE
Christophe Longueteau gère avec son père le domaine situé sur les sidérolithiques. Il apporte un souffle nouveau tant en production avec des élevages en jarres qu’en dégustation ; il imagine notamment des cocktails au vin de Cahors.
91/100
X4 2020
Nez puissant, concentré, riche, généreux, kirsché avec des notes de pain d’épices. Ampleur généreuse d’une bouche profonde aux tanins poivrés. Prix : 17 €
90/100
X2 2020
Notes de fusain pour ce cahors qui s’appuie sur un toucher de bouche soyeux, dense et concentré, avec un tanin profond et une texture aux extraits secs parfaits. Classique. Prix : 10 €
La jeune Mathilde Fournié s’occupe du domaine familial depuis 2015. Au début impliquée dans le commerce et le marketing, elle va vite s’intéresser à la vigne et comprendre les sols.
94/100
Pur Plaisir 2022
Vinification et élevage en foudres de 500 litres pour un vin au bouquet floral, à la bouche savoureuse sur un tanin aristocratique et bourré d’énergie. Prix : 30 €
92/100
Prestige 2022
Pas encore tout à fait fini à l’heure de la dégustation, mais d’une amertume délicate, d’une tension parfaite et d’un volume précis, avec un équilibre juste. Un beau vin en devenir. Prix : 14,50 €
CHÂTEAU LAMARTINE
Ce domaine classique livre des vins justes et équilibrés, digestes et moins boisés mais toujours fidèles à l’image de Cahors. Lise et Benjamin Gayraud, sœur et frère, apportent davantage de tonus et de modernité aux cuvées qui prennent le fruit pour ligne de mire.
94/100
Expression 2020
La note coco signe un nez encore cadenassé. Le palais plus juteux présente une intense finesse, celle des fruits noirs sur une pureté irréprochable. Grande garde en perspective et coup de cœur. Prix : 25 €
93/100
Tandem 2022
Sanguin, juteux, floral. Le fruit est parfait et la densité de tanin d’un équilibre savoureux. La cuvée conserve l’élégance tout en dévoilant des notes graphite. Précision et élégance pour un vin aussi charmeur que carré. Il présente des cousinages avec les syrahs du Rhône nord, sans en avoir le prix. Prix : 12 €
CHÂTEAU LES CROISILLE
Germain Croisille, qui a converti la propriété créée par ses parents en biodynamie, maîtrise la technique au point de produire des cuvées d’une rare subtilité, tout en restant sur les canons du malbec du Causse, profonds et minéraux. La justesse des maturités mises en valeur par une extraction appropriée signe des vins à boire dès maintenant et capables
de vieillir.
93/100
La Pierre 2022
Pour établir une continuité avec la roche calcaire d’origine, le vin est élevé dix mois dans des cuves taillées dans la roche calcaire du nord du Lot. Le malbec en sort détendu, avec du souffle, une belle expressivité, un tanin fondu et énergique, signature de Germain. Prix : N. C.
92/100
Silice 2022
Levures indigènes et macération par infusion pour un malbec de 35 ans élevé dans le ciment. Nez floral, framboise et fruit. Vin construit sur une acidité vibrante et l’énergie d’un tanin délicatement extrait. Prix : 14 €
CLOS D’AUDHUY
Benoit Aymard a repris le contrôle du domaine familial après avoir pendant quinze ans fait du vin pour les autres. Grâce à un terroir mosaïque, il réalise des vins d’une sensibilité inouïe, à son image. Trois années successives de gel n’ont pas brisé son désir de faire un cahors “à la bourguignonne”.
94/100
Clos d’Audhuy 2020
La profondeur juteuse du vin exprime une sapidité savoureuse. La bouche volumineuse, de grande élégance, affiche un tanin profond et moelleux tendu par une minéralité proche des calcaires. Prix : 21 €
93/100
La Pompette 2022
L’équilibre et la pureté de ce cahors vinifié sans intrant, doublé d’une énergie au fruit radieux, signent un vin moderne aux marqueurs minéraux. Prix : 14 €
CLOS LA COUTALE
Sébastien Bernède, vice-président du syndicat des vins de Cahors, perpétue la tradition vigneronne sur ce classique domaine de 100 hectares.
91/100
Clos La Coutale 2018
Ce cahors très fin sur une délicate tension signale l’aristocratie du malbec. Prix : 10 €
90/100
Clos La Coutale 2021
L’intensité de fruit mûr signale un malbec dense et concentré. Fruits rouges et tanins souples, bel éclat et pointe d’amertume en finale. Prix : 7 €
DOMAINE LA CALMETTE
En 2015, Maya Sallée et Nicolas Fernandez commencent avec un hectare. Ils en ont huit désormais et pratiquent une agriculture régénératrice où le travail du sol est minimal, voire inexistant. Leurs malbecs proches des calcaires du Kimméridgien sont lumineux, précis et vivants.
95/100
Bois Grand 2020
Nez floral d’une vivacité intense sur une concentration minérale et juteuse. Les calcaires concentrent la finesse et le croquant sapide de ce jus équilibré droit et franc à la finale légèrement fumée. Prix : 34 €
93/100
Vin De France Trespotz 2022
Une pointe lardée et graphite, et une maturité de fruit bien calée dans son millésime. Chair pulpeuse, tanin frais et pointu, l’acidité donne du tonus et les épices sur le cassis et la violette apportent sa complexité au vin. Prix : 18 €
MAS DEL PÉRIÉ
Depuis qu’on entend parler du vigneron de Trespoux, installé en 2006, on imagine Fabien Jouves plus vieux. À 39 ans, il a déjà accompli un sacré boulot sur son domaine et à Cahors en général. Les amphores, les cépages anciens, le chai gravitaire et la polyculture doublés d’un talent certain lui confèrent une aura amplement méritée.
94/100
Bloc B763 2021
Le malbec sur sidérolithiques délivre ses arômes de fruits noirs rafraîchis par une bonne dose d’épices. Le croquant du tanin profond expose un jus mûr, sur une chair pure qui reste fraîche tout au long de la dégustation. Prix : 60 €
93/100
Les Acacias 2021
Un élevage en foudres d’une année assouplit la cuvée, avec dans le nez des effluves de bois et en bouche un croquant délicat. Le fruit radieux conclut sur une finale de violette pour un ensemble percutant. Prix : 30 €