[INFOGRAPHIE] Les Cahorsins : les réseaux commerciaux et financiers de Cahors au XIII° siècle

8 décembre 2022

« Dès la première moitié du XIIIe siècle, Cahors jouait un rôle commercial de caractère international, qui la mettait bien au-dessus de la plupart des autres villes du Sud-Ouest, et qui valut à ses habitants d’être à l’origine de ce sobriquet de Cahorsin » . Commerçants ils sont également financiers. Leur nom ne restera cependant pas dans la mémoire au contraire des « Lombards » qui les évincèrent au tournant des XIIIe et XIVe siècles. Quant à l’origine et au sens même du nom « Cahorsin », il fut longuement débattu. Certains purent penser qu’ils désignaient par diverses assonances des marchands en fait italiens. Le terme fut également assimilé à celui d’usurier, ce qui n’était pas forcément péjoratif en ces temps mais put le devenir par la suite. Les recherches qui éclairèrent ces débats, par-delà les frontières, révélèrent de nombreux textes qui permirent de relier précisément le terme de Cahorsin à l’identité de marchands cadurciens. Pendant près d’un siècle, les initiatives de ces hommes, ont fait de leur cité le centre d’un réseau financier dynamique, s’étendant largement, au cœur même de la prospérité de l’Occident médiéval.

Cahors : un carrefour essentiel

Cahors devient au XIIIe siècle un carrefour de première importance. Plusieurs facteurs s’associent pour cela sans qu’un seul d’entre eux ne soit suffisant pour expliquer cette situation. Les ressources naturelles du pays y contribuent sans être cependant déterminantes. Elles ne comprenaient en effet que deux produits susceptibles d’alimenter artisanat et commerce : la laine des moutons des Causses, tissée par une draperie active depuis le XIe siècle, et le vin des côtes calcaires.  Ces produits étaient cependant courants et ne pouvaient suffire à expliquer l’importance internationale de Cahors. Celle-ci s’explique dans une large mesure, selon l’historien Yves Renouard par le rôle stratégique occupé par Cahors dans le réseau de voies construit sous l’Empire romain. L’artère reliant Lyon à Bordeaux franchit ainsi le Lot à Cahors avant de gagner Agen. Elle y croisait un autre axe venu de la côte méditerranéenne qui poursuivait après Cahors jusqu’à Saintes puis vraisemblablement jusqu’à l’Atlantique. Vers le sud, Cahors était directement reliée à Toulouse, tandis qu’une autre voie assurait la liaison jusqu’au pied des Pyrénées. Le Lot est bien évidemment essentiel pour l’ensemble du dispositif. Ainsi, « c’est sans doute à la multiplicité des directions procurées par ce carrefour routier, sis de surcroit au passage d’un fleuve relativement navigable en aval, que Cahors doit son importance au Haut Moyen Age ».

Ces lignes forces sont confirmées par l’établissement des grands axes menant à Compostelle pour le pèlerinage puis par les créations urbaines qui diversifient les accès de Cahors à la mer : création de Montpellier au XIe siècle et de La Rochelle au XIIe siècle. « Cahors, par ailleurs en relations aisées par terre avec Toulouse, par eau avec Bordeaux, se trouve ainsi au carrefour des deux principales routes de terre qui relient la vallée du Rhône à la Péninsule Ibérique et le littoral méditerranéen au littoral atlantique. Si la première est surtout empruntée par les pèlerins, la seconde est une route de marchands. Grâce à elle, malgré sa situation éminemment terrienne au centre de l’isthme aquitain, Cahors peut entrer en relations avec l’Orient méditerranéen aussi bien qu’avec les pays de la Manche et de la Mer du Nord. Une situation aussi privilégiée semble présager la fortune ». Ces liens favorisés avec l’Orient n’étaient cependant pas spécifiques à Cahors. Les coupoles inspirées de Constantinople ont été adoptées par nombre de cités qui ne commercèrent pourtant pas avec ces lointains territoires. Ainsi donc, la position géographique favorable, comme en témoigne l’implication très faible des Toulousains dans le commerce international malgré leur position éminemment stratégique entre les deux mers, ne suffit pas.

Initiatives cadurciennes et réseaux financiers européens

Si les productions du Quercy et le nœud de routes constitué par Cahors permettaient de soutenir un commerce au long cours actif, ils ne pouvaient en revanche le susciter dans une ville si foncièrement continentale. « Il parait donc difficile de ne pas attribuer l’élément déclencheur à l’esprit d’initiative de quelques marchands ou de quelques familles de marchands en rapports avec les milieux marseillais, montpelliérain et rochelais, l’essor imprévisible et bientôt international des activités de cette modeste ville de l’intérieur ». La présence de Cahorsins et Quercynois hors de leur ville et de leur région est pour la première fois attestée par des textes en 1178 et 1179 dans les ports de la Méditerranée, à Saint-Gilles et à Marseille, et en 1199 à la Rochelle sur l’Atlantique. Cette première étape les mène ensuite au-delà des mers. En 1200, ils obtiennent des privilèges en Sicile, en commun avec les marchands de Marseille, de Montpellier et de Saint-Gilles et sont présents en Aragon dès les années 1210. « Nombre de ces aventureux commerçants ont appartenu à de grandes familles consulaires de Cahors ».  

Le rôle financier de ces familles semble considérable. C’est grâce à elles par exemple que Simon de Montfort finance ses campagnes contre les Cathares et sa conquête du Languedoc. « La plupart de ces « Cahorsins » sont des commerçants, qui pratiquent éventuellement et parfois principalement le change des monnaies et qui, avec les revenus acquis dans le commerce, consentent des prêts à des particuliers ou à de grands personnages … Il n’y a rien, dans cette activité qui semble les distinguer des hommes d’affaires des villes toscanes. Les Cahorsins financent même dès 1210 une guerre pontificale, ce que ne feront les Guelfes florentins qu’en 1265 ». Dès 1216 les changeurs de Cahors sont présents sur les foires de Champagne, espace clef du commerce européen. Le flux des échanges les conduit quelques années plus tard à s’implanter dans les Flandres. Bien que présents à Paris leur influence y sera en revanche plus limitée. Guy de Cahors n’en dirigera pas moins la frappe de la monnaie d’or sous Philippe le Long. Au fil du XIIIe siècle les Cahorsins sont présents sur de multiples places. Saint Louis confie même la direction de son hôtel des monnaies de Saint-Antonin en Quercy à Arnaud Truel de Cahors et à Pierre Vital de Martel. 

Bordeaux et l’Angleterre

Cette influence financière se retrouve également à Bordeaux, mais plus tardivement. « Tout se passe comme si les deux voies qui conduisaient de Cahors à l’Atlantique étaient spécialisées dans deux commerces différents : par la voie de terre, vers la Rochelle, plus chère, mais plus courte et plus rapide, à dos de bêtes de somme, les épices et les produits de valeur ; par la voie d’eau, vers Bordeaux, les vins, dont c’était le seul mode possible de transport par quantités importantes. Dans les deux cas, les transporteurs pouvaient rapporter au retour des sels provenant des marais salants de l’Océan ». Le premier Cahorsin est attesté en 1205 en Angleterre. Henri III les prend sous sa protection un an après le retour de la Rochelle dans le domaine du Roi de France en 1224. Si le commerce du vin, qui remplace le vin d’Aunis, est un élément important, la surface financière des Cahorsins en fait rapidement des partenaires plus globaux du Roi d’Angleterre qui leur afferme la perception de certaines redevances et leur emprunte de l’argent. En 1245, le trésorier d’Henri III s’efforce d’obtenir six mille marcs des marchands de Sienne, de Cahors et de Florence résidant dans le royaume.

De 1250 à 1275 environ la place des Cahorsins semble aussi grande que celle des Florentins, des Siennois ou des Lucquois. Guillem Servat, marchand quercynois en liens d’affaires avec la Maison royale, reflète cette réussite. Il se vit longtemps confier la direction de la douane de la laine à Londres. « Sans être prêteur de profession, il fut inévitablement conduit à des opérations de crédit : prêts aux monastères, gagés sur leurs fournitures de laines, avances au roi, dont il ravitaillait la garde-robe. En 1314, il était l’un des banquiers de la Cour. Il se trouvait en liaison avec les grandes compagnies italiennes ». Si l’on ne peut être formel sur la part des vins produits à Cahors et dans les environs dans leur négoce, celui-ci, associé à leurs dynamisme financier, servit, directement ou indirectement les activités liées au vignoble.

Déclin et héritages

Cette influence décline dans le dernier quart du XIIIe siècle. Si quelques individualités restent très visibles, les Cahorsins cèdent progressivement du terrain face à ceux qui sont désignés de comme les « Lombards ». La récession économique sensible à partir de 1280 les fragilise face à des concurrents plus solides et disposant de réseaux plus vastes adossés à des territoires plus riches. Les évolutions politiques leurs sont également défavorables. Lorsque se déclenche la première guerre de Guyenne en 1293, ils sont, en tant que sujets du Roi de France, éliminés des offices du Roi d’Angleterre. Economiquement, Cahors ne constitue pas, comme ce fut d’ailleurs le cas également de Sienne qui décline à la même époque, une base arrière suffisamment solide. Elle n’a en effet pour soutenir une grande économie commerçante que des laines et des draps communs et des vins ordinaires.

« Faute d’une production régionale de grande qualité, faute d’une industrie puissante, faute de la population nombreuse qui aurait pu en résulter, faute d’une structure suffisamment forte de ses sociétés commerciales, Cahors, ville modeste de 5000 habitants au maximum, n’a pu conserver dans le monde nouveau et dur de la grande récession économique qui commence dès la fin du XIIIe siècle le rang international que, seule, parmi les villes de l’intérieur du royaume de France elle avait tenu un siècle durant, par une réussite exceptionnelle ».

L’activité des Cahorsins n’a cependant pas totalement disparu. Ils constituent encore des colonies vivantes à La Rochelle et Montpellier dans les décennies suivantes. C’est par eux qu’au milieu du XIVe siècle, I’évêque de Lisbonne, ancien évêque de Saintes, qui a vécu à Montpellier avant de gagner son nouveau diocèse, fait transférer les fonds apostoliques du Portugal à Avignon. Les rivaux italiens colporteront une image sulfureuse des Cadurciens. « Dante met sur le même plan d’infamie Sodoma e Caorsa, et ses commentateurs du XIVe siècle précisent qu’il s’agit bien de Cahors en France. Boccace se montre particulièrement sévère envers cette ville, dont tous les habitants se seraient livrés au prêt avec une passion qui les aurait distingués! ».

 A plus long terme, il n’est pas interdit de penser que le profil des activités viticoles cadurciennes, qui associent depuis le XVIIIe siècle au moins des producteurs de vins et des marchands, correspond assez bien à la culture d’une cité où l’innovation commerciale et la volonté de disposer de circuits diversifiés, contrôlés aussi directement que possible, sont profondément ancrée

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Eliora Bacci

Responsable communication digitale
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