Rencontre avec Emmanuel Rybinski au Clos Troteligotte @TellementSoif

24 août 2022

Partie 1. Troteligotte, liberté et légèreté à Cahors

Retrouvons Emmanuel Rybinski qui dévoile l’univers original de son Clos Troteligotte (certifié Bio et Biodynamie) et la richesse de sa gamme débordante de fruit et de fraîcheur.

Rencontre entre Antoine Gerbelle et Emmanuel Rybinski au Clos Troteligotte à Villesèques dans l’appellation Cahors

Antoine Gerbelle : On est en plein hiver mais il y a une belle lumière et on profite de ce passage à Cahors pour venir te voir. Alors « Clos Troteligotte » c’est écrit sur le verre, tous les amateurs de Cahors commencent à connaître un petit peu ton domaine.

On voit surtout des gens se passionner pour votre génération, sans renier le travail des anciens bien évidemment. Cahors c’est une vieille appellation, il y a beaucoup de choses qui ont été faites, c’est une très belle histoire. Mais on repasse un peu sur nos pas ici, justement pour essayer de comprendre. Il y a une dynamique sur Cahors, il y a quelque chose qui marche bien en ce moment. Les amateurs n’ont plus le regard un peu suspect qu’avait une génération avant sur ce vin traditionnellement qualifié de noir, sombre, lourd, difficilement digeste. « Attendons l’hiver et le magret pour ouvrir une bouteille de Cahors » ça c’est fini ! Autour de moi, tes vins sont bus en été, automne, hiver, en toute saison donc ça veut dire quelque chose.

Ton père a planté des vignes dans les années 80. Toi, tu es arrivé et la première chose que tu as fait en t’installant, et ça c’est un signe, c’est de planter des blancs. Sur le papier, quand un vigneron s’installe à Cahors et plante des blancs, on se dit « qu’est-ce qu’il se passe ? » Je rappelle qu’il n’y a pas encore de Cahors blanc officiel.

Rencontre entre Antoine Gerbelle et Emmanuel Rybinski au Clos Troteligotte à Villesèques dans l’appellation Cahors

Raconte-nous pourquoi tu es parti sur cette couleur qui n’est pas dans l’appellation ?

Emmanuel Rybinski : Pourquoi j’ai planté des blancs ? Parce que le terroir s’y prêtait, on est quand même sur des argiles calcaires. Au départ, en 2004, quand moi je suis arrivé, on les a plantés sur la partie du Quercy. Ces des argiles calcaires marneuses.

Antoine Gerbelle : on rappelle qu’on est dans une vallée. Toi tu as un très beau coteau que tu es en train de complètement retravailler.  

Emmanuel Rybinski : Le Clos Troteligotte est juste à la limite entre l’AOC Cahors et le début du Quercy Blanc. Donc utiliser ces deux terroirs, c’était aussi pour équilibrer rouge et blanc. Bien sûr parce que j’aimais boire des blancs, qu’il n’y avait pas trop de vin blanc à Cahors non plus, c’était vraiment le début. Et historiquement, il y avait toujours eu du Chenin sur l’appellation Cahors, il faut le rappeler. C’est quand même un des cépages historiques. C’était aussi histoire de faire quelque chose de nouveau ce qui est naturel quand tu arrives dans un endroit.

Rencontre entre Antoine Gerbelle et Emmanuel Rybinski au Clos Troteligotte à Villesèques dans l’appellation Cahors

Antoine Gerbelle : mais pas seulement nouveau ! J’ai l’impression que vous êtes une génération qui arrivez avec l’envie de continuer à faire dire quelque chose au terroir. Je vais faire une comparaison mais c’est un peu comme à Saint-Emilion où il y a des magnifiques calcaires. Tout est planté en Merlot principalement, et Cabernet Franc ; et les premiers qui se sont dits « on va mettre du blanc parce que c’est des calcaires à blancs » ont été pris pour des fous. Cette génération, vous vous êtes dits, on répond à un appel du terroir. Ce n’est pas seulement une lubie, ce n’est pas seulement répondre à une envie ou un appel du marché.  

Emmanuel Rybinski : c’est le terroir en premier et l’envie de travailler quelque chose de nouveau et de voir comment ça se comporte, de lancer quelque chose qui avait déjà un peu commencé. On goûte pas mal de vins donc d’avoir que du rouge c’était frustrant. Dans la même lignée, tu peux le rapprocher du fait qu’ici sur le Clos Troteligotte il n’y avait que deux cuvées en 2004. Et le fait que je développe une sélection parcellaire au sein du Clos, c’était aussi pour apprendre à apprendre. En 2005, j’avais déjà cinq cuvées différentes en AOC. Il y avait une base de terroir mais le plaisir est primordial.

Antoine Gerbelle : en fait tu t’es dit « partons sur de nouveaux chemins pour essayer de ne pas s’ennuyer, essayer de se faire plaisir, et en même temps de creuser ».

Emmanuel Rybinski : c’est ça aussi la base ! Le terroir, oui, mais c’est finalement peut-être aussi important de faire quelque chose qui nous plaise, quelque chose dans lequel tu puisses te retrouver, apprendre, chercher, goûter, faire goûter, échanger. C’est important dans le choix de toutes ces cuvées, de tous ces cépages différents. Il y a une partie de jeu. C’est un jeu quand même. C’est professionnel mais c’est quand même un jeu à la base.

Antoine Gerbelle : c’est un jeu au sens où le vin aussi ce n’est pas sérieux. Du moins c’est très sérieux, mais il ne faut pas le prendre trop au sérieux. Il faut le faire très sérieusement sans trop le prendre au sérieux.

Emmanuel Rybinski : Quand tu parlais de notre génération et de qu’on a fait. Il est vrai qu’on avait une envie de découvrir et de jouer. Et tu n’as pas de limite si tu joues, tu pars dans quelque chose et tu y vas. Et en plus on a le côté agricole, paysan agriculture donc on joue mais en faisant attention. C’est toujours mesuré mais en allant chercher.

Antoine Gerbelle : tu t’es fait connaître avec une forme de liberté dans tes cuvées. Là, on déguste un pétillant naturel qui n’est pas en AOC Cahors mais qui est un peu un marqueur de la génération. En gros : on a des beaux raisins et on s’amuse avec. On ne se cantonne pas à faire la cuvée domaine, la cuvée premium et le nom des enfants sur l’étiquette, on est passé à autre chose. Est-ce que tu t’es dit c’est mon terroir qui va avec mes vinifications et je vais suivre cette voie là et voir où ça va me mener ; ou c’était un petit peu l’inverse et c’est le goût qui t’a guidé :  t’avais envie d’avoir un vin un petit peu plus frais et un vin un petit peu plus construit.

Rencontre entre Antoine Gerbelle et Emmanuel Rybinski au Clos Troteligotte à Villesèques dans l’appellation Cahors

Comment la gamme de vins du Clos Troteligotte s’est-elle mis en place ?

Emmanuel Rybinski : c’est un peu tout ça en même temps. Il n’y avait que deux cuvées sur le Clos de 9 hectares à l’époque. Comment voir les sols là-dedans ? J’ai commencé en 2004 à vinifier chaque hectare dans des cuves différentes. Après deux ans, on a délimité une grosse différence entre les kimméridgiens et les sidérolithiques. Et après, je me suis aperçu qu’il y avait des tonalités différentes en fonction des cépages bien sûr, et en fonction des années. On est sur un Clos mais il y a différentes expositions. On est Nord, Sud, Est, Ouest, plateau et bas de pente.

Rencontre entre Antoine Gerbelle et Emmanuel Rybinski au Clos Troteligotte à Villesèques dans l’appellation Cahors

Donc déjà tu vois, tu as six modalités différentes au sein d’un clos avec deux terroirs. Et après c’était un jeu ! J’ai eu beaucoup de liberté car il n’y avait pas d’antériorité quand je suis arrivé. Mon père vendait 2,000 bouteilles sur le marché de Cahors. Je n’avais pas à respecter quoi que ce soit comme règle. Au niveau des étiquettes, il m’a laissé libre-court. Dès ma première cuvée en 2004, j’ai créé le K-or avec l’étiquette exactement comme elle est maintenant : fond noir, le K en rouge et le mot « or » attaché.

Rencontre entre Antoine Gerbelle et Emmanuel Rybinski au Clos Troteligotte à Villesèques dans l’appellation Cahors

Le fait d’avoir joué avec les terroirs et les expositions m’a permis d’avoir des vins intéressants et l’imagination au niveau des noms des cuvées a pris le pas. Donc très vite, en l’espace de trois ans, beaucoup de cuvées sont arrivées, juste par le fait que je ne connaissais pas grand-chose donc je n’avais pas envie de mélanger des vins qui me paraissaient avoir des expressions autonomes. Après, je me suis peaufiné et on a amélioré mais l’idée de base était de respecter le travail fait avec mon père pendant une année pour isoler ces parcelles.

Antoine Gerbelle : est-ce que ça te gène, est-ce que ça t’offense quand on dit que ta génération a allégé le style de Cahors ?

Emmanuel Rybinski : on l’a allégé au niveau tannique, sans doute, au niveau matière mais on ne l’a pas allégé au niveau complexité. C’est ça la différence. On l’a allégé pour que les gens comprennent mais on a montré que derrière cette puissance, il y avait une complexité. La complexité, ce n’est pas forcément plus « léger » mais par contre c’est beaucoup plus digeste et là ça fait une grosse différence. Et c’est à partir de là où l’on peut comprendre l’expression d’un terroir : quand on enlève le côté grossier entre guillemets et qu’on a plus que la pureté. Là, on peut comprendre quand on parle de kimméridgien, de calcaires normaux, de sidérolithiques.

Donc on l’a allégé d’un côté ; mais on l’a aussi complexifié d’un autre. Il se trouve que le contexte fait qu’on avait besoin de vendre des vins rapidement. Toutes les choses s’influencent les unes des autres. Le fait de vouloir faire des vins qu’on puisse boire rapidement tout en se faisant plaisir ; et parallèlement, être un petit peu à l’aise au niveau des ventes, a indirectement apporté quelque chose au vin. 

Antoine Gerbelle : avec en base le Malbec !

Emmanuel Rybinski : qui est un cépage avec lequel on peut faire à peu près tout. Même les vins sur le fruit, légers ont une certaine profondeur quand c’est bien fait. Même en étant des vins de fruit des vins gourmands, il y a une histoire derrière.

Rencontre entre Antoine Gerbelle et Emmanuel Rybinski au Clos Troteligotte à Villesèques dans l’appellation Cahors

Antoine Gerbelle : c’est aussi parce que la viticulture s’est adaptée.

Emmanuel Rybinski : oui, on a pu faire tout ça parce qu’on est allés vers le bio, la biodynamie encore plus, et j’espère que l’agroforesterie apportera une touche un petit peu différente.

Partie 2. Agroforesterie. L’expérience cadurcienne.

Explication d’Emmanuel Rybinski de ce mode d’exploitation associant arbres et vigne et ses avantages dans le Clos Troteligotte.

Antoine Gerbelle : à la genèse tu as commencé par planter les blancs ; après tu t’es bien évidemment intéressé aux Malbec, à travailler sur cette qualité de raisins qui fait la force de Cahors. Et là, vous êtes en train de partir sur quelque chose d’encore plus complexe et enrichissant, c’est l’agroforesterie. Un gros mot qu’on emploie beaucoup. On ne peut pas s’empêcher de dire que c’est tendance, mais dans le bon sens du terme. Aujourd’hui la viticulture essaye de se sortir de cette monoculture ; de comprendre qu’il y a tout un écosystème ; et que, plus il est vivant, et moins vous avez de travail pour l’autonomie de cette vigne.

Vous en êtes où dans ce travail de remise d’une vie complète dans le vignoble ?

Emmanuel Rybinski : Au Clos Troteligotte, je dirais qu’on est au début, vraiment à l’apprentissage. Beaucoup de choses ont été préparées il y a deux ans. Le Clos Troteligotte, c’est aujourd’hui à 16 hectares d’un seul tenant au milieu de vingt-trente hectares de bois. Depuis deux ans, on a commencé à remettre en état les bois autour, les parcours pour mettre des clôtures. On est dans un écrin au sein d’un bois mais il y a quand même des jonctions à faire entre les bois historiques et les parcelles plantées de vignes. Donc tout a été préparé tout autour des vignes pour faire la jonction vigne/bois. On a commencé les premières haies l’année dernière ; et cette année on enchaîne sur 400/500 mètres de plus. Et tout un système qui entourera la vigne d’arbres pergola va venir s’additionner.  

Rencontre entre Antoine Gerbelle et Emmanuel Rybinski au Clos Troteligotte à Villesèques dans l’appellation Cahors

Antoine Gerbelle : quelles essences d’arbres tu plantes ?

Emmanuel Rybinski : ça va dépendre des endroits. Sur le pourtour des vignes sur les systèmes de pergola cette année, ça va être des érables champêtres, ormes, muriers blancs, et après des cerisiers et pruniers. On va avoir des morceaux de six arbres espacés pour continuer petit à petit chaque année. Après dans les grandes haies, ça va être des essences d’arbres que tu trouves déjà partout autour : ça peut être des noisetiers, des néfliers, des corniers, des cognassiers, des érables, des mûriers, des fusains. Et puis des fruitiers qu’on a plantés ou qu’on a récupérés et greffés.  On essaye de faire quelque chose de sauvage donc il y a un petit peu de tout. Il y a une vingtaine de variétés différentes.

Rencontre entre Antoine Gerbelle et Emmanuel Rybinski au Clos Troteligotte à Villesèques dans l’appellation Cahors

Antoine Gerbelle : Vous avancez tous un petit peu à tâtons, parce qu’il n’y a pas un livre qui s’intitule « comment je transforme mon vignoble en agroforesterie ». On se promène avec Tellement Soif dans plein de régions où les gens y vont, y croient.

Qui vous accompagnent en agroforesterie ? Est-ce que vous vous tournez vers les pépiniéristes ?  

Emmanuel Rybinski : oui, il y a les pépiniéristes et puis il y a ceux qui nous forment. Moi je travaille avec Alain Canet. Il est venu plusieurs fois et on va refaire une formation ouverte à tous les vignerons.

Antoine Gerbelle : est-ce que tu peux nous situer le personnage ?

Emmanuel Rybinski : Alain Canet c’est un des précurseurs en agroforesterie au niveau national ; peut-être même international. ça fait un moment qu’il bosse dessus, notamment avec Marceau Bourdarias par rapport à la vigne. Donc on a fait des formations avec Marceau ici, des formations avec Alain Canet, Arbre Haies Paysage 46 pour le Lot. Il y a plein de pôles qui vont pouvoir t’aider à comprendre exactement.

Après comment en apprend ? C’est en lisant aussi. C’est le début, mais en même temps il y a des gens qui en ont fait depuis très longtemps et qui ont un certain recul. Par contre, il faut l’adapter à ton vignoble, à tes expositions, à ta façon de travailler, à tes sols, à ta structure : si tu es seul / pas seul, des employés / pas d’employé. Cela prend du temps, de l’argent. Donc c’est vrai qu’on tâtonne : chacun fait les choses de son côté. En même temps, on échange et on regarde. Et c’est vrai qu’on part un peu à l’inconnu.

Rencontre entre Antoine Gerbelle et Emmanuel Rybinski au Clos Troteligotte à Villesèques dans l’appellation Cahors

Le domaine est grand et petit à la fois mais tu vois j’arrache des vignes, je mets des arbres dans les vignes, donc c’est tout une façon à repenser. Ça fait déjà deux ans de préparation rien qu’au niveau des sols, des arrachages, les plantations. Je pense qu’il y a cinq à six ans de travail pour arriver à quelque chose dont on ne verra pas rapidement ce que ça donne.

Antoine Gerbelle : on est sur le temps long, comme une bonne vigne.

Emmanuel Rybinski : Après on le voit un peu comme un grand jardin. L’objectif est de faire un grand jardin au milieu des bois dans lequel on se sente bien pour travailler et surtout que ça se reflète sur la qualité des vins, l’équilibre des sols. Il y a des raisons pour lesquelles on fait tout ça. C’est pour s’adapter au changement climatique, s’adapter à la qualité des sols, que le plante se régule, s’adapte et supporte les fortes pluies, les fortes sécheresses et essayer de faire du vin plus équilibré.

Rencontre entre Antoine Gerbelle et Emmanuel Rybinski au Clos Troteligotte à Villesèques dans l’appellation Cahors

Retrouvez la vidéo sur le site web de Tellement Soif

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Aurore Del Vitto

Ancienne responsable des relations presse & de la communication digitale
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