[INFOGRAPHIE] Un évêque mérovingien porte-drapeau du vignoble?

9 novembre 2022

Né vers 580, Didier est issu d’une famille de très haute et puissante origine. Sa vie nous est connue par un ensemble de sources assez exceptionnel pour l’époque, composé d’une correspondance (une trentaine de lettres), d’une partie de son testament et d’un récit de sa vie (Vita) écrit par un moine de Saint-Géry dans le siècle qui a suivi sa mort en 655. Le vin est au cœur de plusieurs épisodes, qui témoignent chacun à leur façon de l’existence d’un grand vignoble commercial en Quercy, autour de la cité épiscopale de Cahors.

Un évêque bâtisseur

La jeunesse de Didier ne le prédestine pas à l’épiscopat. Avec d’autres adolescents de la haute aristocratie, il est envoyé à l’école du palais du roi. Ainsi formé, il devient un fonctionnaire important, sous les rois Clotaire II puis Dagobert. Ce dernier le nomme évêque de Cahors dans des circonstances dramatiques, puisque c’est à la suite de l’assassinat du titulaire de la charge, qui n’était autre que son propre frère, Rustique, en 630. Grand bâtisseur (église cathédrale, sanctuaires, fortifications, rénovation de l’aqueduc), ne lésinant pas sur l’ornement, Didier est le premier personnage d’une ville qu’il transforme complètement. Son pouvoir est à la fois religieux et civil. Sa fortune personnelle est grande, assise sur une vaste propriété foncière (plus de 76000 hectares, répartis entre Albigeois et Quercy).

En août 2019, une campagne de fouilles sur le parvis du conseil départemental a fait remonter cette période à la surface en dégageant des sols datant de l’époque mérovingienne, avec, clou des découvertes, un sarcophage intact abritant la dépouille d’une femme âgée.  « C’était probablement quelqu’un d’important. L’absence d’ornements et de bijoux peut indiquer une marque de piété », indique le directeur des fouilles. Quant au contexte funéraire, il a peut-être un lien avec le monastère Saint-Etienne le Supérieur, fondé par Didier de Cahors au VIIe siècle ». 

Carte : Cahors au 7e siècle. Emplacement des églises fondées par Didier
Carte : Cahors au 7e siècle. Emplacement des églises fondées par Didier

Un cadeau pour les messes dites à Verdun

Une première anecdote témoigne de la place du vin et des échanges que ce produit représente dès le 7e siècle à Cahors. Dans une lettre, Paul, évêque de Verdun, remercie son ami Didier de l’envoi de vin pour la communion du clergé et des fidèles (qui se fait sous les deux espèces, du pain et du vin, jusqu’au 13e s.). Les évêques se doivent d’offrir le meilleur des vins possible à cette occasion. Paul a commandé, comme d’habitude, une amphore de vin de Falerne à son ami. Ce vin du sud de l’Italie, célèbre depuis l’Antiquité, qui continuait d’être acheté et consommé en Gaule à l’époque de Didier était alors devenu plus généralement synonyme de « très bon vin ».

Quelle ne fut pas sa surprise quand arrivèrent non pas dix petits vases mais dix grands vases (« vasa ») que l’évêque de Verdun appelle même tonneaux (« tunnas »). Dix tonneaux de vin, c’est autre chose qu’une amphore. Paul n’est pas dupe. Il lui fait part de son étonnement : le vin qu’il a reçu est certes un bon vin (« elegantissimus falernus ») mais ce n’est plus le vin de prestige auquel il était habitué (« falerno nobile »). Pour qualifier ce vin, Paul utilise un nouvel adjectif (« elegantissimus ») qui pourrait bien en effet traduire un changement de nature. Didier aurait-il essayé d’amadouer son ami Paul en remplaçant la qualité par la quantité ? L’origine de ce nouveau Falerne n’est pas précisée, mais on peut imaginer qu’il vient en réalité d’un des bons vignobles appartenant à l’évêque de Cahors, dans l’Albigeois ou en Quercy, où la production viticole est en plein essor.

Entre pêché de gourmandise et pouvoir miraculeux

L’auteur de la Vita raconte une petite histoire qui confirme que l’évêque Didier disposait aisément de vin, et de bon vin. Là encore, vie quotidienne et vie religieuse sont entremêlées. 

Alors qu’Arnanus, un ermite venu de la Scotie (Ecosse), s’était installé dans une des grottes qui dominaient la vallée du Lot, Didier décide lui fait parvenir tous les jours des provisions (« cibi et vini »). Deux de ses clercs, Leodolenus et Dracolenus, chargés de s’acquitter porter les provisions à l’ermite. Alléchés par la suavité des aliments et la fragrance qui émanait du vin, les deux compères ne résistent pas longtemps et succombent au péché de gourmandise. Ils n’avaient pas encore franchi la moitié du chemin que les provisions avaient terminé dans leur estomac (« vini ac cibi perceptione ventrem ingurgitant »). Il est difficile de penser que ce vin ne provenait pas des vignes de l’évêché, notamment celles plantées autour du monastère de Saint-Amans construit par l’évêque en périphérie de la ville. 

Le vin est aussi à l’origine d’un miracle. Mourant, l’évêque de Rodez Aregius est guéri par de l’eau qui, ayant lavé le bâton du défunt Didier, est devenue miraculeuse. En fait, l’eau se serait transformée en vin au cours du voyage de Cahors jusqu’à Rodez. Ce vin dégage de surcroît un arôme exceptionnel, seul comparable à un précieux « Falerne ».

L’opulence du vignoble de Cahors 

Les chroniqueurs le disent, les historiens de la période le confirment, la première moitié du 7e siècle a été prospère. Celui qui écrit la vie de Didier prête à ce dernier cette prospérité, visible notamment dans l’abondance des récoltes de vin : « L’abondance et l’exubérance des récoltes de vin et de céréales étaient telles que l’on en vit jamais de semblables, ni avant ni après…. Il n’y avait pas de pauvres dans la cité, et tous pouvaient se procurer ce qu’ils désiraient sans difficulté… ». Visitant une exploitation à Rusticiago (Rostassac, 20 km en aval de Cahors), pour lever l’impôt, l’évêque est surpris d’apprendre du paysan qu’il interroge qu’il a produit mille amphores de vin (250 hl ?). Il lui demande confirmation. Le paysan confirme. Cette production bien plus importante que celle nécessaire à la consommation des exploitants du domaine est donc en partie commercialisée. Une circulation marchande du vin est donc bien attestée dès cette époque. 

Didier de Cahors comme nombre d’autres évêques mérovingiens a donc joué un rôle majeur dans le développement du vignoble à la fois pour des raisons liturgiques (le vin de messe), sociales (devoir d’hospitalité : vins de réception, d’honneurs) et économiques (vins vendus sur le marché local ou distant). 

Carte localisant les domaines de Didier dans le diocèse de Cahors, par rapport au vignoble actuel
Carte localisant les domaines de Didier dans le diocèse de Cahors, par rapport au vignoble actuel

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Eliora Bacci

Responsable communication digitale
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